Photo Justin Creedy Smith
Evidente ? Rien n’est moins sûr. Et familière de moins en moins au fur et à mesure qu’ils se multiplient et profilèrent sur les quadrillages des toiles ou sur les petits formats carrés. Car leur familiarité est trompeuse. Ces pots contiennent bien des fleurs, c’est après tout leur fonction. Ils sont reconnaissables dans leur forme simple à peine ombrée d’un relief suggéré. Mais leur matière est ailleurs, parfois saturée de pigments, des rouges sombres, des bleus vifs, des tons de terre brûlée, définitivement contourés de noir mat. Et quand parfois ces contours se détachent sur des fragments de papier journal, alors l’objet quotidien se découpe sur un quotidien sans objet.
Mr Bonhomme fait de la peinture en pot, alors ? Il n’est pas le seul. Ces pots pourraient en évoquer d’autres. Celui d’abord de l’artisan qui doit ouvrir au couteau le couvercle en métal pour accéder à la couleur épaisse et liquide. Mais aussi, puisque l’art d’aujourd’hui doit vivre avec le poids de l’analogie, les pots de Raynaud, objets nets et normés, désormais sur piédestal et icônes dorées à l’or fin d’un certain art contemporain, celui de la foule des grands jours. On peut aussi penser aux pots si poétiques de Gasiorowsky.
Pourtant, les pots de Bonhomme nous disent autre chose. Ils sont un motif, leur sens s’épaissit de la série dans laquelle ils s’inscrivent. Ils sont autant un support que la toile sur laquelle ils sont peints et nous y voyons parfois bien plus que des pots : l’évocation des natures mortes classiques lorsque des têtes sont dessinées en surimpression, à la fois « tête à toto » et « tête de mort », graffiti enfantin et vanité. Ils sont aussi un questionnement discret sur les enjeux de la représentation (après tout, ces toiles sont-elles des « natures mortes » ?), les échos assourdis des angoisses post-modernes (que peut-on encore montrer aujourd’hui ?). Et dans leurs formes alternativement vides ou remplie, nous retrouvons, presque insensiblement, comme une évidence qui se construirait au grès de la répétition. De toile en toile, « la réminiscence de l’objet [peint] baigne dans une neuve atmosphère » (Mallarmé), et nous voyons à nouveau, grâce au travail d’Yves Bonhomme, un morceau de notre quotidien comme une réalité enfin pleine, énigmatique et vibrante.
Antoine Coutelle
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